Alors que la RDC tente de tourner la page d’une longue histoire de prédation étatique, une nouvelle enquête de Mediapart relance le débat sur l’influence toujours active de l’ex-président Joseph Kabila dans les affaires économiques du pays. Le cœur du dossier : un réseau de sociétés-écrans, des millions de dollars blanchis, et un chiffre devenu surnom : 25 %.
Pendant ses 18 années à la tête de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila a dirigé un État régulièrement cité parmi les plus corrompus au monde. Et selon les dernières révélations du média d’investigation Mediapart, son départ du pouvoir en 2019 n’a pas mis fin à son influence – bien au contraire.
Une série de vidéos fuitées met en lumière un réseau d’entreprises et de montages financiers à travers lesquels l’ancien président conserverait des intérêts majeurs, dissimulés derrière des prête-noms. Au centre de ce système : une femme d’affaires italienne bien connue à Kinshasa, Fortunata “Tina” Ciaparrone.
Une femme de confiance au cœur du dispositif
Tina Ciaparrone n’est pas une inconnue dans le paysage économique congolais. Ancienne enseignante, devenue entrepreneuse influente, elle dirige aujourd’hui plusieurs sociétés dans les secteurs pétrolier, minier et des infrastructures, dont la SOGEMIP (Société des Génie d’Exploitation Minière et Pétrolière).
Mais dans les vidéos récemment publiées, elle reconnaît ouvertement un rôle bien plus sensible : celui de prête-nom pour Joseph Kabila. Elle affirme notamment détenir officiellement 100 % de plusieurs entreprises… dont 25 % reviennent en réalité à l’ancien président.
Parmi les sociétés citées figurent CIIG, SOTEXKI, Texico, Coete Gaz ou encore SOGEMIP Mining, active dans l’exploitation de cobalt, de cuivre et de lithium dans la région du Lualaba. Un chiffre revient dans toutes ses déclarations : “25 % pour M. Kabila”.
Montages financiers, blanchiment et pétrole stratégique
Plus troublant encore, Ciaparrone décrit en détail une opération de blanchiment présumé à travers un partenariat fictif avec une société baptisée LIU Resources. Dans cet arrangement, SOGEMIP serait entrée dans le capital de LIU à hauteur de 35 %, pour en sortir le jour même, générant une transaction de 8 millions de dollars. Un montage présenté comme destiné uniquement à faire circuler et blanchir des fonds.
Le dossier prend une autre ampleur quand on examine le portefeuille d’actifs de SOGEMIP. L’entreprise détient des participations dans plusieurs blocs pétroliers stratégiques de la RDC, aux côtés de groupes comme PERENCO et ENI, dans des zones estimées à plus de 15 milliards de dollars de réserves.
D’après les calculs de Mediapart, les parts cachées attribuées à Joseph Kabila pourraient donc représenter plusieurs centaines de millions de dollars de gains potentiels – pour un homme qui n’occupe plus de fonction publique.
Le silence des institutions congolaises
Malgré la gravité des accusations, ni l’État congolais ni la justice n’ont réagi officiellement. Aucun mandat de perquisition, pas de réaction publique du parquet, pas d’enquête parlementaire. Un silence assourdissant dans un pays où le revenu moyen plafonne à 50 dollars par mois, et où l’accès aux services publics de base reste une gageure.
Plus inquiétant encore : certaines sources affirment que Joseph Kabila se trouverait actuellement dans l’Est du pays, sous protection du groupe armé M23, qu’il est accusé de financer. Une connexion qui, si elle se confirme, lierait la prédation économique au conflit armé, et renforcerait l’ampleur du scandale.
Et maintenant ?
Ces révélations relancent les interrogations sur la capacité réelle des institutions congolaises à rompre avec les pratiques du passé. La question dépasse la seule figure de Kabila : elle touche à l’État de droit, à la transparence dans les industries extractives, et à la souveraineté économique d’un pays riche, mais captif de ses élites.
La pression est désormais sur le gouvernement congolais et sur ses partenaires internationaux. Agir, ou cautionner ? C’est le dilemme. Car sans une réponse judiciaire et politique forte, le message envoyé est clair : au Congo, même les scandales documentés, chiffrés, enregistrés… ne coûtent rien.