Sheikh Tahnoon bin Zayed, l’architecte discret d’un nouvel ordre techno-financier

Leader de l’ombre aux ambitions globales, Tahnoon bin Zayed incarne la montée en puissance des Émirats sur l’échiquier technologique.

Sheikh Tahnoon bin Zayed, l’architecte discret d’un nouvel ordre techno-financier

Dans un monde où les figures de pouvoir changent aussi vite que les technologies qu’elles promeuvent, le nom de Sheikh Tahnoon bin Zayed Al Nahyan revient de plus en plus souvent. Discret mais influent, stratégique plus que charismatique, cet émirati de 54 ans vient d’être nommé personnalité arabe la plus puissante de 2025 par le magazine Gulf Business – un classement largement observé dans les cercles diplomatiques et économiques.

Vice-chef des forces armées des Émirats arabes unis, président du conglomérat International Holding Company (IHC), chef des services de renseignement émiratis et homme-clé de l’entourage présidentiel, Sheikh Tahnoon ne se contente plus d’agir dans les coulisses. Il incarne aujourd’hui un certain modèle de gouvernance techno-financière, hybride entre souveraineté étatique et stratégies d’investisseur global.

Un pouvoir économique tentaculaire

L’ascension de Sheikh Tahnoon reflète une nouvelle réalité : celle de dirigeants non-élus mais incontournables, dont l’influence repose autant sur des logiques d’investissement transnationaux que sur des fonctions étatiques classiques. À travers IHC, fleuron économique basé à Abu Dhabi, il supervise un portefeuille d’activités aussi éclectiques que stratégique : santé, agriculture, énergie, défense, télécommunications, intelligence artificielle, infrastructures…

En l’espace de quelques années, IHC est devenu l’une des entreprises les plus valorisées de la région, avec des ramifications sur tous les continents. À l’instar des fonds souverains comme ADIA ou Mubadala, IHC agit comme un bras armé économique des Émirats — mais avec plus de souplesse, plus d’agilité, et une capacité à agir rapidement dans des secteurs émergents.

“L’IA n’est pas un mot à la mode” : une vision assumée

Dans un contexte mondial où l’intelligence artificielle devient une arène de compétition géopolitique, la posture de Sheikh Tahnoon est sans équivoque : « L’IA n’est pas un mot à la mode ; c’est un outil qui transforme déjà notre manière de fonctionner et de prendre des décisions », affirme-t-il dans un communiqué relayé par IHC. Un propos qui sonne comme un manifeste, au moment où les grandes puissances tentent de réguler — ou de maîtriser — ces technologies aux effets systémiques.

Sous sa houlette, les Émirats se positionnent comme l’un des leaders émergents du développement de l’IA, à la fois grâce à des investissements massifs dans les start-ups, à l’implantation de centres de R&D et à une politique volontariste d’attraction des talents. Une stratégie qui tranche avec l’approche plus prudente de nombreux États occidentaux.

Entre diplomatie, sécurité et innovation

Ce n’est pas un hasard si Sheikh Tahnoon est souvent qualifié de “Monsieur sécurité” d’Abu Dhabi. Son influence dépasse largement les seules questions économiques. Conseiller de premier plan dans les dossiers régionaux — Yémen, Libye, Iran, Corne de l’Afrique — il est aussi un interlocuteur régulier des puissances occidentales, avec lesquelles il entretient un dialogue discret mais régulier.

Le choix de promouvoir un leadership centré sur l’innovation technologique est donc aussi une manière pour les Émirats d’assurer leur pérennité stratégique. Dans un monde fragmenté, marqué par l’émergence de nouvelles rivalités, l’influence ne passe plus uniquement par les armes ou les hydrocarbures : elle s’exerce désormais par les infrastructures numériques, les systèmes de données, les flux financiers.

Un signal à l’Occident ?

En plaçant Sheikh Tahnoon en tête de son classement 2025, Gulf Business envoie un message clair : le pouvoir au XXIe siècle ne se limite plus aux figures visibles et médiatiques. Il s’incarne aussi dans des profils plus silencieux mais déterminants, capables de relier la haute finance, la technologie, les services de renseignement et les politiques d’État.

Ce modèle soulève autant d’admiration que de préoccupations. La concentration des leviers de pouvoir dans une seule main, aussi visionnaire soit-elle, interpelle sur le plan démocratique. Mais pour les Émirats, qui revendiquent un “modèle de stabilité par la performance”, Tahnoon est l’homme de la situation : rigoureux, efficace, capable de penser le futur sans renier les traditions du pouvoir émirati.